LA MAUVAISE MORT
Si vous me demandez ce que l’on entend par une mauvaise mort, je vous répondrai : quand une personne à la fleur de l’âge, étant mariée, jouissant d’une bonne santé, ayant des biens en abondance, et qu’elle laisse des enfants et une femme désolés, il n’est pas douteux que cette mort ne soit très cruelle. Le roi Ezéchias disait : « Quoi ! Mon Dieu ! Faut-il que je meure au milieu de mes années, à la fleur de mon âge. » Et le Roi-Prophète demandait à Dieu de ne pas le faire mourir au milieu de ses années. D’autres disent que mourir de la main des bourreaux, sur une potence, c’est une mauvaise mort. D’autres, que mourir d’une mort subite est une mauvaise mort : comme d’être écrasé par un coup de foudre, d’être suffoqué dans l’eau, de tomber du haut d’une maison et rester sur place. Enfin, d’autres disent que c’est mourir d’une maladie fâcheuse, comme de mourir de la peste ou d’autres maladies contagieuses. Eh bien, moi, mes frères, je vous dirai que toutes ces morts ne sont point mauvaises. Pourvu qu’une personne ait bien vécu, qu’elle meure à la fleur de son âge, sa mort ne laissera pas d’être précieuse aux yeux du Seigneur. Nous avons tant de saints qui sont morts à la fleur de leur âge. Ce n’est pas non plus une mauvaise mort que de mourir de la main des bourreaux. Tous les martyrs sont morts de la main des bourreaux. Mourir d’une mort subite n’est pas encore une mauvaise mort, pourvu que l’on soit prêt. Nous avons tant de saints qui sont morts de la sorte : Saint Syméon fut tué par un coup de foudre sur sa colonne. Saint François de Sales mourut d’apoplexie. Enfin mourir de la peste n’est pas encore une mort funeste : Saint Roch, saint François-Xavier en sont morts. Mais ce qui rend la mort du pécheur malheureuse, c’est le péché. Ah ! C’est ce maudit péché qui le déchire et le dévore dans ce moment épouvantable. Hélas ! Quelque côté que ce pauvre malheureux tourne ses regards, il ne voit que péché, il ne voit que grâces méprisées. Et, hélas ! S’il lève les yeux au ciel, il ne voit qu’un Dieu en colère, armé de toute la fureur de sa justice qui est prête à lui fondre dessus. S’il tourne ses regards en bas, hélas ! il n’aperçoit que l’enfer et ses fureurs, qui ouvre déjà la gueule pour le recevoir. Hélas ! Ce pauvre pécheur n’a pas voulu reconnaître la justice de Dieu pendant sa vie ; dans ce moment, non seulement il la voit, mais il la sent déjà s’appesantir sur lui. Pendant sa vie, il a toujours tâché de cacher ses péchés, ou du moins, de les diminuer ; mais dans ce moment, tout lui est représenté au grand jour. Hélas ! Il voit ce qu’il aurait dû voir, ce qu’il n’a pas voulu voir. Il voudrait pleurer ses péchés, mais il n’est plus temps. Il a méprisé le bon Dieu pendant sa vie, Dieu à son tour le méprise et l’abandonne à son désespoir.
Ecoutez, pécheurs endurcis, qui vous roulez avec tant de plaisir dans le limon de vos ordures, sans avoir même la pensée d’en sortir, qui peut-être n’y penserez que quand le bon Dieu vous aura abandonnés comme il est arrivé à tant d’autres moins coupables que vous. Oui, nous dit le Saint Esprit, les pécheurs, dans leurs derniers moments, grinceront des dents, seront saisis d’une frayeur épouvantable, dans la seule pensée de leurs crimes. Leurs iniquités se soulèveront contre eux et les accuseront. Hélas ! S’écrieront-ils dans ce moment malheureux. Hélas ! A quoi nous ont servi cet orgueil, cette vaine ostentation, et tous ces plaisirs que nous avons goûtés dans le péché ? Tout est passé, et nous n’avons à notre suite aucune trace de vertu, et nous avons été convaincus par notre malice.
C’est précisément ce qui arriva au malheureux Antiochus qui, étant tombé de son chariot, se fracassa tout le corps. Il ressentait une si grande douleur d’entrailles qu’il lui semblait qu’on les lui arrachait. Les vers le rongèrent tout en vie, son corps était puant comme une charogne. Alors, il commença à ouvrir les yeux. C’est ce que font les pécheurs mais trop tard.
« Ah ! S’écriait-il, je reconnais que ce sont les maux que j’ai faits à Jérusalem qui me tourmentent et me rongent le cœur. »
Son corps était dévoré par des douleurs affreuses, et son esprit par une tristesse inconcevable. Il fit venir ses amis, croyant trouver près d’eux quelques consolations. Mais non, abandonné de Dieu qui fait la consolation, il n’en pouvait pas avoir d’autres.
« Hélas ! Mes amis, leur disait-il, je suis tombé dans une terrible affliction. Le sommeil m’a quitté. Je ne saurais reposer un seul instant. Mon cœur est percé de douleurs. Hélas ! Dans quel état de tristesse et d’angoisse suis-je réduit ! Il faut donc que je meure de tristesse, et encore dans un pays étranger. Ah ! Seigneur, pardonnez-moi ! Je réparerai tout le mal que j’ai fait. Je rendrai tout ce que j’ai pris dans le Temple de Jérusalem. Je ferai de grands présents à ce Temple. Je me ferai Juif. J’observerai la loi de Moise. J’irai partout publier la Toute Puissance de Dieu. Ah ! Seigneur, faites, s’il-vous-plaît, miséricorde. »
Mais sa maladie augmente, et le bon Dieu, qu’il a tant méprisé pendant sa vie, n’a plus d’oreilles pour l’entendre. C’était un orgueilleux, un blasphémateur, et malgré ses instantes prières, il ne fut pas écouté, il lui fallut tomber en enfer.
Triste mais juste punition des pécheurs qui, après avoir méprisé toutes les grâces que le bon Dieu leur a accordées pendant leur vie, ne trouvent plus de grâces quand ils voudraient en profiter. Hélas ! Que le nombre de ceux qui meurent de cette manière est grand aux yeux de Dieu ! Hélas ! Qu’il y en a de ces aveugles dans le monde qui n’ouvrent les yeux que dans le moment où il n’y a plus de remèdes à leurs maux !
Oui, mes frères, oui, vie de péchés et mort de réprouvés. Vous êtes dans le péché, vous ne voulez pas en sortir ? Non, me direz-vous. Eh bien ! Mon ami, vous y périrez. Vous allez voir dans la mort de Voltaire, ce fameux impie. Ecoutez-bien, et vous verrez que si l’on méprise toujours le bon Dieu, et que si le bon Dieu nous attend pendant notre vie, souvent, par un juste jugement, il nous abandonne à la mort lorsque nous voulons revenir à lui. Vivre dans le péché, en pensant que nous en sortirons un jour, c’est un piège du démon qui vous perdra comme il en a tant perdu d’autres. Voltaire, se voyant malade, commença à réfléchir sur l’état d’un pécheur qui meurt avec la conscience chargée de péchés. Il veut rentrer en lui-même, et essayer si le bon Dieu voudra bien lui pardonner tous les péchés de sa vie qui sont en grand nombre. Il compte sur la miséricorde de Dieu qui est infinie et, dans ces belles pensées, il fait venir un de ces prêtres qu’il avait tant outragés et tant calomniés dans ses écrits. Il se met à ses genoux et lui fait l’aveu de ses fautes, et dépose entre ses mains, la rétraction de ses impiétés et de ses scandales. Il se flattait déjà d’achever le grand ouvrage de sa réconciliation. Mais il se trompait grandement. Le bon Dieu l’avait abandonné : vous allez le voir. La mort devance les derniers secours. Hélas ! Ce pauvre impie sent renaître en lui toutes ses frayeurs. Il s’écrie :
« Hélas ! Suis-je donc abandonné de Dieu et des hommes ? »
Oui, malheureux, tu l’es. Déjà ton partage et ton espoir sont l’enfer. Ecoutez cet impie, il s’écrie avec cette bouche souillée de tant de sacrilège, de tant de blasphèmes contre Dieu, sa religion et ses ministres :
« Ah ! S’écrie t-il, Jésus Christ, Fils de Dieu, qui êtes mort pour tous les pécheurs sans distinction, ayez pitié de moi ! »
Mais hélas ! Presque un siècle d’impiété a lassé la patience de Dieu, qui l’a déjà réprouvé. Il n’est plus qu’une victime que la colère de Dieu engraisse pour les flammes éternelles. Les prêtres qu’il avait tant méprisés, mais que, dans ce moment, il désire tant, n’y sont pas. Le voilà qui entre dans les convulsions et les horreurs du désespoir : les yeux égarés, blême et tremblant d’effroi, il s’agite, il se tourmente, il semble vouloir se venger de ces anciens blasphèmes dont sa bouche avait été si souvent souillée. Ses compagnons d’impiété craignant qu’on lui apportât les Sacrements, ce qui aurait semblé les déshonorer, l’emportent dans une maison de campagne et là, abandonné dans son désespoir…